À l’occasion de la Semaine européenne pour l’emploi des personnes handicapées, célébrée du 17 au 23 novembre, la SMACEM met en lumière la force et la créativité des artistes qui réinventent leur pratique au-delà des obstacles. Rencontre avec Anja Linder, harpiste d’exception qui, malgré les contraintes liées à sa paraplégie, continue à faire vibrer son instrument grâce à la passion et à l’innovation. En complément, l’Afdas et Thalie Santé nous partagent des conseils pratiques pour aider musiciennes et musiciens en situation de handicap à adapter leur environnement de travail.

Le parcours inspirant de Anja Linder, musicienne de talent

En 2001, durant une tempête, un arbre s’est effondré sur Anja Linder. Hospitalisée pendant deux ans, elle en ressort avec une paraplégie incomplète qui l’empêche de jouer de son instrument. Heureusement, elle a fait les bonnes rencontres qui lui ont permis de pouvoir continuer sa passion et sa carrière. Elle nous raconte.

« J’ai commencé la harpe à 10 ans, j’ai eu des premiers prix au conservatoire de Strasbourg.  Puis, j’ai suivi des études de lettres modernes à la faculté de Strasbourg, parallèlement à mes études musicales. J’ai finalement choisi de m’orienter définitivement vers la musique quand j’ai gagné deux concours internationaux en musique de chambre avec la soprano avec qui je travaillais à l’époque, Nathalie Godefroy.

J’étais en pleine ascension lorsque j’ai eu mon accident. J’ai eu de la chance de rencontrer le directeur de l’Instrumentarium, Jean-Marie Panterne (décédé récemment), une personne extraordinaire à qui je souhaite rendre hommage. C’est lui qui a eu l’idée d’adapter une harpe à mon handicap. Il a donc composé une équipe avec un ingénieur et un électronicien qui ont inventé « l’Anjamatique ». Il a fallu réinventer complètement l’instrument, parce qu’il n’est pas du tout adapté au handicap. La harpe nécessite notamment beaucoup de dextérité au niveau des pieds. L’Anjamatique, c’est une harpe électropneumatique pilotée par un ordinateur qui m’a permis de reprendre ma carrière en 2007.  C’est de la harpe, ça a le son d’une harpe, mais au niveau de la façon de l’envisager intellectuellement et au niveau du ressenti, il a fallu tout réinventer.

Je n’ai jamais envisagé d’arrêter la musique parce que, pour moi, vivre sans musique était impossible. »

Un accompagnement difficile

« À chaque fois que je me suis tournée vers des organismes, cela demandait tellement de paperasse pour si peu d’aides… Les recherches pour créer l’Anjamatique ont duré deux ans et ont coûté plus de 30 000 euros ! Les aides proposées par l’Etat ne sont pas du tout suffisantes, je suis assez déçue. Ce sont les structures privées qui m’ont permis de le financer.

Il y a des changements généraux à faire concernant les aides pour les personnes en situation de handicap, les démarches sont fastidieuses et empêchent un bon accompagnement. C’est déprimant… »

Une carrière impactée et réinventée

« Du point de vue professionnel, bien sûr ma carrière a été impactée. Je suis moins mobile qu’une personne qui n’a pas de handicap : donc il y a des choses que je ne peux plus faire comme jouer dans un orchestre, faire des séries d’orchestre, c’est-à-dire plusieurs concerts d’affilé, pour avoir le statut d’intermittente. Je ne peux plus jouer de la harpe en Allemagne, en Russie ou aux Etats-Unis puisqu’il faudrait que j’apporte mon propre instrument.

Toutefois, les choses avancent. En 2015, j’ai eu l’accord de Milan Kundera pour lire des extraits de L’insoutenable légèreté de l’être avec Frédérique Bel. Nous avons sorti un album. Et, en 2017, j’ai écrit mon autobiographie, publiée aux éditions Max Milo. Enfin, l’année dernière, j’ai sorti un album reprenant les musiques de Schubert. J’ai aussi eu l’opportunité de jouer pour la clôture des Jeux Olympiques et pour les Victoires de la musique. »

Un message motivant à diffuser largement

« Je dirais aux artistes qui se trouvent dans une situation similaire à la mienne que seuls eux savent ce qui est le plus important pour eux dans la vie, ce qui les fait vibrer, ce qui crée leur identité, ce dont ils ont besoin pour vivre vraiment et pas pour survivre. Et si vivre pour eux, c’est faire de la musique, alors, ils trouveront une solution ! Il faut s’accrocher. Mais c’est aussi compréhensible d’abandonner. Il faut être lucide, c’est très difficile. Dans tous les cas, il ne faut pas écouter ce que les autres nous disent. On est les seuls capables de savoir ce qu’on peut supporter et ce qui nous fait le plus vibrer, ce dont on rêve. 

J’aimerais que, dans un avenir assez proche, les personnes en situation de handicap invitées à jouer quelque part, n’entendent plus parler de leur handicap mais uniquement de leur talent. »

Frédéric Zeitoun, auteur-compositeur et administrateur SMACEM engagé

« Il est essentiel que la SMACEM agisse, rappelle Frédéric Zeitoun, administrateur de la SMACEM. L’engagement de la SMACEM s’adresse à l’ensemble de ses adhérents et adhérentes, donc également aux personnes en situation de handicap.

Dans une société où la population vieillit, le nombre de personnes concernées par une perte d’autonomie ou par un handicap ne cesse de croître. Or, les prises en charge de la Sécurité sociale ne sont pas suffisantes. Les équipements indispensables à la vie quotidienne représentent des coûts de plus en plus élevés. Prenons un exemple concret : un fauteuil roulant adapté, équipé d’un coussin anti-escarres pour prévenir les complications médicales, peut atteindre 4 500 €. Pourtant, la Sécurité sociale n’en rembourse qu’environ 500 €, ce qui constitue un véritable frein à l’accès à ces aides techniques pourtant indispensables.

Face à cette réalité, la SMACEM continue de prendre en compte les besoins spécifiques des personnes en situation de handicap. Notre rôle est d’apporter des solutions concrètes pour que chacun et chacune puisse vivre dignement. »

Les solutions pour les artistes en situation de handicap

L’Afdas, un accompagnement global autour des projets professionnels

Une mission liée au parcours professionnel

La mission de l’Afdas vise notamment à accompagner les professionnel·les du spectacle, de la culture, du divertissement etc., dans leurs questions de montée en compétence, d’emploi et de qualification. Comme nous l’explique Fadwa Naciri-Leroi, psychologue et conseillère emploi/formation à l’Afdas, « la plupart du temps, ces publics sollicitent l’Afdas via le prisme de la formation professionnelle. Puis, en déroulant la pelote, on découvre des situations qui nécessitent une approche globale, un véritable état des lieux à 360°. Beaucoup de personnes ignorent qu’elles peuvent être accompagnées dans la sécurisation de leur parcours, notamment en cas de problème de santé. Elles ont parfois un sentiment de devoir travailler, en dépit de la problématique de santé. Du fait de leurs statuts (absence de contrat classique), elles n’entrevoient pas les filets de sécurisation qui existent. On tâche alors, autant que faire se peut, d’accompagner à la sécurisation de leur parcours, en les orientant également vers les acteurs et actrices de leur écosystème qui peuvent être mobilisés dans un parcours ponctué d’arrêts de travail, de périodes de soin, etc. »

Un dispositif dédié

Pour ce faire, l’Afdas propose « Appui Conseil carrière », dédié aux intermittents et intermittentes du spectacle et soutenu par la branche du spectacle vivant. Dans le cadre de ce dispositif, l’Afdas échange avec la personne sur ses besoins, d’abord au regard de son parcours professionnel, de ses attentes et de sa problématique de santé, s’il y en a une. « Souvent, on se rend compte que les personnes méconnaissent les dispositifs et services proposés par les acteurs de l’emploi et de la formation, constate Fadwa Naciri-Leroi. C’est compréhensible, il n’y a pas de service RH comme pour des salarié·es classiques, donc les personnes peuvent se sentir un peu démunies. On regarde, quand il y a une problématique de santé, si la personne est sensibilisée et informée sur la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH). Souvent, les personnes ont des représentations négatives sur la RQTH à cause des stéréotypes liés au handicap. Notre but est donc de sensibiliser à ce sujet et d’accompagner, si la personne le souhaite, à cette reconnaissance qui permettra d’accéder à certains droits. Il s’agit également de sécuriser le parcours en attendant cette reconnaissance qui peut prendre beaucoup de temps à arriver. »

De ce fait, au-delà du partenaire incontournable du champ du handicap qu’est l’Agefiph, l’Afdas travaille en réseau resserré avec les interlocuteurs de l’écosystème des professionnel·les du spectacle.. Par exemple, l’Afdas oriente vers la Mission Handicap d’Audiens, qui intervient en complément sur les aides sociales et le fonds de professionnalisation. Elle collabore aussi avec Thalie Santé et leur service de prévention de la désinsertion professionnelle. 

La RQTH, qu’est-ce que c’est ?

La RQTH est la reconnaissance officielle par l’État que l’état de santé d’une personne nécessite une compensation sur son environnement de travail. Cette reconnaissance s’obtient après un dépôt de dossier auprès de la Maison départementales des personnes handicapées (MDPH). Une RQTH peut être temporaire, notamment pour des personnes atteintes de maladies telles que le cancer ou le burn out, mais elle peut également être à vie.

La RQTH permet :

  • d’abonder le compte professionnel de formation (CPF) et ainsi de toucher 800 euros par an avec un plafond de 8 000 euros (contre 500 euros par an avec un plafond de 5 000 euros pour les travailleurs et travailleuses sans RQTH) ;
  • de bénéficier d’un accompagnement avec des conseillers spécialisés sur le handicap à France travail (pour débloquer certaines aides mobilisables uniquement via France travail) ;
  • d’avoir accès à la Mission Handicap d’Audiens et notamment à la CVthèque qui met en relation des travailleurs et travailleuses en situation de handicap et des employeurs ;
  • d’avoir une aide technique d’environ 5 000 euros pour aménager son poste de travail. Elle passe d’abord par une étude avec un expert Thalie santé et un avis du médecin du travail.

La démarche pour une RQTH est personnelle et confidentielle. La personne qui effectue cette démarche n’est pas obligée de le mentionner à qui que ce soit. 

À savoir : les employeurs sont tenus d’avoir dans leurs effectifs au moins 6% de personnes concernées par une RQTH.

Thalie santé, des solutions concrètes pour adapter son activité professionnelle

La médecine du travail spécialisée pour le secteur culturel

Thalie santé dispose d’un pôle maintien en emploi au sein du département prévention. Ce pôle pluridisciplinaire accompagne les salariés qui rencontrent une problématique de santé qu’elle soit psychique, physique ou mentale. Cela vaut pour toutes les problématiques de santé qui peuvent amener un médecin à constater un risque susceptible d’empêcher une personne de continuer à travailler. 

« Ce ne sont pas des personnes qui ne souhaitent plus travailler dans ce secteur et souhaitent une réorientation, précise Jennifer Mendes, psychologue du travail, ergonome et responsable du pôle maintien en emploi chez Thalie santé. Il s’agit bien d’une problématique de santé qui entraine un risque de désinsertion professionnelle. L’objectif est donc de prévenir ce risque. Dans ce secteur, pour de nombreuses personnes le corps est un outil de travail, donc il y a une certaine usure professionnelle. Lorsque l’usure arrive, nous venons éteindre le feu. C’est un public qui ne se met pas en arrêt maladie et qui tait ses problématiques de santé. Donc, nous venons dédramatiser cela et leur dire « vous avez le droit d’être malade et on va être votre béquille le temps que les choses se fassent. » »

Un accompagnement à 360°

Une fois l’avis du médecin du travail obtenu, la personne peut contacter le pôle maintien en emploi afin d’avoir un premier niveau d’information sur l’accompagnement proposé. Si elle est intéressée, un premier rendez-vous est organisé. Long et approfondi, cet entretien prend en compte les dimensions médicale, sociale et professionnelle.

  • Sur le plan médical : Il est évoqué ce que la personne ne peut plus faire, ce qu’elle peut encore faire et comment la pathologie est censée évoluer. La prise de conscience, cela passe souvent par la demande de RQTH avec l’aide du médecin du travail, du médecin généraliste et du médecin spécialiste.
  • Sur le plan social : « On estime que lorsqu’une personne n’est pas bien socialement et financièrement, lui parler de reconversion professionnelle ou de reprise de l’activité, ce n’est pas la priorité », prévient Jennifer Mendes. Son équipe fait donc un point social, en  regardant si la personne est locataire, propriétaire, s’il y a des problématiques financières, si elle vit seule, en couple, si elle a des enfants à charge, etc. En fonction des problématiques, si elles sont plus ou moins importantes, une orientation vers les assistantes sociales de Thalie santé ou vers les assistantes sociales de l’Assurance maladie est proposée ou encore une assistante sociale de secteur.
  • Sur le plan professionnel : Des pistes sont étudiées. « On aide les personnes à croire de nouveau en elles, à se remobiliser et essayer de trouver une solution, explique Jennifer Mendes. Ce qui m’anime personnellement en tant que psychologue, c’est de savoir d’où la personne vient, ce qu’elle a fait dans sa vie, quels sont ses hobbies. Ça permet de faire un retour en arrière et de demander à la personne ce qu’elle a accompli et ce qui l’a amenée à être qui elle est aujourd’hui Souvent, les personnes malades se sentent vides et sans identité, elles n’ont plus conscience de leur valeur. Donc cet échange permet de leur montrer tout ce qu’elles ont fait. »

Les solutions d’aménagements

Une fois ce bilan fait, un ordre de priorité est fixé. Si la personne est bien prise en charge médicalement et ne présente pas de difficulté socialement, un travail sur le projet professionnel débute alors. Il est question de l’activité de la personne et des aménagements de postes éventuels. Cela peut concerner un aménagement matériel ou organisationnel. L’équipe d’ergonomes de Thalie santé se déplace à domicile pour étudier les aménagements à mettre en place grâce à expertise sur le secteur de la culture et du spectacle. Cette analyse in situ permet de repérer les micro-mouvements qui se multiplient sans que la personne n’en ait conscience.

« Par exemple, on a eu une artiste qui composait dans son canapé avec son clavier posé sur la table basse, explique Jennifer Mendes. Or elle était atteinte d’une maladie chronique qui touchait ses articulations. Son espace de travail n’était pas du tout adapté. Je me suis donc rendue sur place pour faire l’étude de poste et nous avons adapté son espace. »

Concernant les instruments de musique, l’équipe d’ergonomes n’adapte pas directement mais elle fait des recherches pour trouver des solutions préexistantes. Tel a été le cas pour une violoniste touchée par une problématique au niveau des cervicales à force de plier le cou pour jouer de son instrument. Un des ergonomes lui a donc trouvé un violon fabriqué aux Etats-Unis qui permet de jouer par l’avant, d’annuler le mouvement latéral de tête et d’avoir un équilibre au niveau de la posture. De même pour un accordéoniste qui avait des problématiques au niveau du haut du corps : la solution via un accordéon numérique, de fait, beaucoup plus léger.

Enfin, l’équipe Thalie santé propose également des consultations avec des psychologues, sur avis du médecin travail. Les personnes peuvent bénéficier de trois consultations gratuites par an. Sans être une thérapie, cela offre une aide ponctuelle. 

Bon à savoir

La SMACEM propose des remboursements adaptés pour les consultations chez les spécialistes et les hospitalisations. La SMACEM propose également un forfait pour le remboursement des fauteuils roulants ainsi qu’un forfait pour les médecines douces dont la psychomotricité et l’ostéopathie.

Vous bénéficiez également d’une assistance 24h/24 et 7j/7 d’écoute, de conseil et d’orientation ainsi que d’un accompagnement en cas d’hospitalisation ou d’immobilisation. Le numéro se trouve au dos de votre carte mutualiste.

Pour aller plus loin :

Crédit photo : Valentine Franssen