Blues de rentrée chez les artistes : retrouver l’élan créatif après l’été

L’été rime avec contrastes dans la musique : entre frénésie des festivals et ralentissement d’activité, la rentrée peut sonner comme une redescente difficile. Comment surmonter ce blues et raviver l’élan créatif ? Entretien avec la psychologue Sandra Huret, spécialisée dans la santé mentale des artistes.
De manière générale, quel est l’état de santé des musiciens et musiciennes ?
D’après les neurosciences, la musique est, de toutes les activités humaines, l’activité la plus complète au niveau cognitif, au niveau sensoriel et au niveau physiologique. D’ailleurs, quand on met des électrodes sur la tête d’un musicien en train de jouer, presque tout s’éclaire. C’est très positif ! Tout le monde devrait faire de la musique, notamment pour la santé cognitive.
Mais, en même temps, qui dit cognitif dit aussi très grande charge émotionnelle. Les musiciens et les musiciennes, par l’axe de l’apprentissage musical, monopolisent beaucoup de leur système sensoriel et émotionnel. Le cerveau doit donc traiter beaucoup plus d’informations que pour une personne qui ne fait pas de musique. Il y a évidemment des avantages : la sensibilité, les capacités cognitives boostées, le système émotionnel mieux régulé.
Toutefois, c’est aussi souvent synonyme de plus d’anxiété et de surmenage. La vie des artistes n’est pas simple. On voit beaucoup de burn-out mais ce n’est pas toujours facile à évaluer par rapport à d’autres professions. Le sens émotionnel est tellement exploité que ça peut brouiller des pistes. Les musiciens et les musiciennes sont supers actifs et stimulés émotionnellement et sensoriellement en tournée par exemple. Cependant, le corps est épuisé mais on ne s’en rend par forcément compte parce que la surstimulation brouille les pistes. C’est comme ça que parfois après une période de tournée estivale, la chute est parfois compliquée et délicate.
Sandra Huret, une psychologue à l’écoute des musiciens et musiciennes
Sandra Huret est psychologue et psychothérapeute spécialisée dans la prise en charge des populations créatives et notamment des musiciens et musiciennes.
Musicienne elle-même, elle observe les spécificités des métiers de la création et leur impact sur la santé mentale, ainsi que le besoin d’un accompagnement personnalisé. Voilà pourquoi Sandra Huret reçoit quotidiennement des artistes au sein de son cabinet basé à Cannes. Elle participe également à des conférences et des ouvrages afin de faire passer un message essentiel : les artistes doivent pouvoir vivre pleinement et positivement leur profession.
Quelle évolution observez-vous sur la santé mentale des musiciens et musiciennes après l’été ?
À la rentrée, j’ai plus de rendez-vous qu’habituellement. Durant l’été, même si tout se passe bien, les artistes en tournée vivent une explosion sensorielle, émotionnelle, cognitive qui entraîne une surstimulation. Le feedback entre la scène et la salle crée aussi beaucoup de gestion émotionnelle et entraine une fatigue mentale importante dont le symptôme premier va être l’anxiété. Évidemment, à un moment donné, le cerveau lâche. La baisse d’activité entraine une baisse de ces stimulations, ce qui peut imiter les effets d’un contrecoup, de quelque chose de l’ordre de l’état dépressif : on ne se sent pas bien, on a envie de rien.
La brutalité de cet état varie selon la sensibilité de chacun et chacune et peut induire une impression de flottement désagréable. Cela peut entraîner également des insomnies. La santé mentale est inévitablement impactée. Heureusement, c’est tout à fait normal, c’est dû à la régulation cérébrale. Le cerveau a besoin de lâcher pour permettre de se ressourcer.
Généralement, ce n’est pas seulement une question de mental, ça peut aussi être physiologique. Avec la fatigue, le stress, l’anxiété souvent inhérents aux concerts, les défenses immunitaires chutent un peu. On est alors plus enclins à attraper des petits virus. C’est possible de développer une angine, un rhume, etc. C’est d’autant plus désagréable que le corps est déjà fatigué, donc le mental aussi.
C’est aussi la fin d’un cycle, donc quand ça arrive, ça fait un vide intérieur qu’il faut gérer.
Les compositeurs/compositrices et auteurs/autrices ne sont pas impactés de la même manière. Leur métier n’est pas touché par la surcharge sensorielle puisque ce sont des personnes qui travaillent beaucoup à la maison et l’été est plus calme. Ce qui arrive dans ces cas-là, c’est plus une perte de motivation, de créativité, on perd la frénésie du reste de l’année puisque la cadence est ralentie. Tout cela peut également mener à ce petit vide intérieur.
Comment gérer ce sentiment de vide et retrouver un élan de créativité ?
La première chose à faire c’est d’accueillir cette sensation de vide. Il ne faut pas en avoir peur sinon ça se renforce. Il faut au contraire profiter de ce moment pour travailler sur soi et faire autre chose.
Que ce soit dans la composition, l’écriture ou pour les musiciens et les musiciennes qui performent sur scène, je conseille vraiment de faire une coupure. Même si ce n’est que 48 heures, il faut ne plus penser musique, ne plus penser projet, ni créativité : oser lâcher.
Pour les musiciens et les musiciennes, il s’agit de calmer la surstimulation sensorielle, notamment auditive et visuelle, pour pouvoir se ressourcer et déployer de l’imagination. Si on stimule d’autres sens, l’imagination va se déployer autrement. En allant faire une balade dans la nature par exemple, on stimule l’olfactif, respirer les senteurs des bois. En allant vers les sens les moins stimulés et en reposant les autres, on aide le cerveau à réguler. On cherche à retrouver un équilibre.
L’équilibre, c’est le principe même de notre fonctionnement. Le cerveau observe un principe homéostatique, c’est-à-dire qu’il fait toujours en sorte que tout soit le plus régulier et stable possible. Souvent, ça vole en éclats lors des tournées puisque le rythme est irrégulier, les sens sont stimulés et la fatigue et l’anxiété de la performance s’accroissent. Donc il faut ensuite tout poser et ne rien faire, puis petit à petit reprendre une routine et penser à des nouveaux projets avec un regard neuf.
C’est bien de faire un bilan afin de voir ce qu’on a besoin de faire différemment ou en plus. C’est important de se concentrer sur les acquis positifs. Les artistes se concentrent souvent sur la performance et sont très autocritiques mais ce regard-là, il est nécessaire d’apprendre à le laisser au placard.
Pour les compositeurs/compositrices et les auteurs/autrices qui n’ont pas eu de surcharge de travail, l’idée est la même. Il faut profiter de cette baisse d’activité pour observer un regard neuf sur soi et faire un bilan positif de ce qui a été fait dans l’année. Dans le processus créatif, on n’est pas obligés d’être toujours à fond en tentant de forcer le renouvellement d’idées. Le processus créatif observe aussi des temps de pauses, des temps de latence, de faire autre chose. Cela permet de renouveler le stock d’idées et le stock de nouvelles connexions neuronales. On ne doit pas se dire absolument « aller, je dois travailler, je dois trouver des idées, je dois profiter de ce temps pour composer. » Quand l’inspiration ne vient pas ce n’est pas pour rien, c’est peut-être le temps d’aller faire complètement autre chose, plutôt que de jouer ou de composer.
Quels conseils donneriez-vous à des artistes pour stabiliser leur rythme à la rentrée ?
C’est très compliqué parce que les musiciens et les musiciennes n’ont pas un travail routinier, il ne s’agit pas d’un 9h-17h. Ce qui est possible de faire, c’est de se créer une routine pour se centrer sur soi. Faire une routine le matin, un peu de respiration, de cohérence cardiaque pour s’apaiser. On essaye d’entrer dans une écoute de soi, de se demander ce dont on a besoin et comment on se sent.
Si on est un peu fatigué, si on se sent agité, il est conseillé de faire des pauses de calme. Le journal de bord peut être un bon outil. Quand on écrit, on concentre mieux la problématique sur un axe rationnel plutôt que de la sentir nous envahir émotionnellement à l’intérieur du mental. Si on écrit, on travaille sur soi, on se recentre sur soi. Il ne s’agit pas d’écrire dix fois par jour mais une fois par semaine par exemple, faire un petit bilan hebdomadaire. On peut aussi se bloquer un créneau pour pratiquer du sport.
Pour se réguler, le cerveau a besoin d’une routine, d’une chronologie. Sinon, il peut fabriquer de l’anxiété. On ne s’en rend pas forcément compte mais chez les musiciens et les musiciennes qui ont des emplois du temps très changeants, il y a un impact. Mais ils et elles ont aussi besoin d’inscrire des repères pour la mémoire, pour la stabilité émotionnelle, pour l’anxiété.
On peut aussi bloquer un temps pour faire ses courses, cela crée également une routine. Il n’y a pas besoin d’avoir un emploi du temps heure par heure de la journée mais s’il y a deux ou trois petits rendez-vous hebdomadaires, cela aide le cerveau à monopoliser à nouveau les ressources qui auront été usées pendant l’été. Il est nécessaire de renouveler le stock d’énergie.
L’idée est également de prendre soin de son sommeil qui a été dérégulé pendant l’été. Pour ce faire, il ne faut pas hésiter à consulter un·e thérapeute, ou un·e sophrologue par exemple. Cela peut permettre de réguler le temps de sommeil qui est un vecteur important dans une routine pour éviter le stress et l’anxiété.
Quels seraient vos conseils pour les compositeurs/compositrices et les auteurs/autrices ?
Pour un compositeur ou une compositrice, l’été étant moins intense professionnellement parlant, cela permet de faire une pause. Et si cette pause a offert l’occasion de profiter des choses qu’on aime, alors la rentrée est plus simple à gérer. Les nouvelles propositions de projets seront vécues pleinement et sans stress. Mais il faudrait aussi se créer une routine, comme pour les musiciens et les musiciennes qui performent sur scène.
Pour contre, si l’été a été difficile à cause du manque d’appels, que cela s’est révélé anxiogène, alors il faut réémerger tranquillement dans la composition, dans la pensée créative. La créativité est la clé pour ces métiers, et cela ne veut pas seulement dire avoir plein d’idées et être toujours dans l’innovation. La créativité se nourrit aussi du fait d’aller ailleurs. L’idée n’est pas seulement d’être immergé dans ses partitions, dans ses projets. Prendre le temps d’aller dans la nature, de faire des randonnées, permet de faciliter ensuite le processus créatif.
Les artistes doivent donc diviser leur temps en deux phases :
- La pensée divergente, il s’agit de la divergence des idées. Il faut les prendre partout, pas seulement dans la musique mais partout où ça va nourrir l’inspiration musicale. Ici, on cherche à avoir un regard neuf, à trouver de l’inspiration.
- La convergence, c’est un temps où il faut se recentrer sur soi-même pour recentrer l’information. C’est ici qu’on réunit les idées et on commence à faire de la gestion de projet. Les livres, les podcasts, les contenus sur la gestion de projet peuvent être intéressants dans le processus créatif afin de poser un cadre et trouver une routine.
Bien sûr, c’est possible de mélanger un peu ces deux phases, de revenir en arrière. Tout n’est pas figé. Le plus important est de se faire confiance. Sans confiance, on fait chuter l’estime. Il faut « s’autoriser à » et si un jour on n’est pas inspiré, ça ne veut pas dire qu’on ne va pas y arriver, ni qu’on ne sait pas jouer ou composer. Dans ce genre de situation, on peut se calmer en pratiquant des exercices de respiration par exemple, du travail d’écoute de soi. A partir du moment où on s’écoute, tout va toujours mieux.
Comment développer et entretenir la confiance en soi ?
L’écoute de soi est importante. J’ai remarqué que les artistes se comparent tout le temps et sont très autocritiques. Se comparer sans cesse risque vraiment de faire chuter la confiance en soi parce qu’on trouvera toujours les autres meilleurs. Donc, pour avoir plus confiance, il faut arrêter de se comparer, se recentrer sur ses acquis et ce qu’on a réussi à obtenir. Ce n’est pas un métier facile et il y a plein de tenants et d’aboutissants autres que le talent. Par exemple, lorsqu’on n’est pas sélectionné pour un concert, par exemple, cela peut être perçu comme injuste ou douloureux mais cela ne signifie pas pour autant qu’on est incompétent ou qu’on manque de talent.
Il est important de faire attention aux mots qu’on utilise sur soi et et de veiller à retirer les termes négatifs. C’est ce que je conseille aux artistes qui sont sensibles et toujours dans la performance, un peu comme les athlètes de haut niveau. Retirer les mots négatifs ne signifie pas pour autant se dire qu’on est le ou la meilleur·e. C’est se parler comme on le ferait pour réconforter un·e ami·e. On peut se dire ce qu’on a moins bien réussi mais essayer de comprendre pourquoi. Est-ce que j’étais fatigué·e ? Est-ce qu’il y avait un manque de concentration ? On peut bien sûr ne pas être satisfait·e d’une prestation ou d’un rendu mais le tout c’est de comprendre pourquoi et de faire en sorte que ce soit mieux la fois suivante.
Il faudrait faire attention aux mots qu’on utilise sur soi et retirer les termes négatifs. C’est ce que je conseille aux artistes qui sont sensibles et toujours dans la performance, un peu comme les athlètes de haut niveau. Retirer les mots négatifs ne signifie pas pour autant se dire qu’on est le ou la meilleur·e. C’est se parler comme on le ferait pour réconforter un·e ami·e. On peut se dire ce qu’on a moins réussi mais essayer de comprendre pourquoi. Est-ce que j’étais fatigué·e, est-ce qu’il y avait un manque de concentration ? On peut bien sûr ne pas être satisfait·e d’une prestation ou d’un rendu mais le tout c’est de comprendre pourquoi et de faire en sorte que ce soit mieux la fois suivante.
Il faut vraiment se donner de l’ouverture et se dire que si on veut la performance, il faut la confiance en soi. Quand la confiance chute, la performance est moindre. Si on se dit qu’on n’est pas au niveau, on peut développer des problématiques de trac et cela rendra encore plus difficile la performance.
En cristallisant tout ce qui est négatif, on oublie tout le reste. C’est comme ça qu’on s’épuise encore plus vite et qu’on a davantage de difficultés quand la rentrée arrive. L’important, c’est de garder le plaisir de sa profession. C’est le meilleur moyen d’être dans sa performance.
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