Chaleur et concerts : les bons réflexes pour la santé des pros de la musique

Depuis quelques années, la température monte et s’impose comme un défi sanitaire majeur. Lors des périodes de canicule et des vagues de chaleur, la santé des musiciens et musiciennes est particulièrement mise à rude épreuve. Quels sont les risques durant les concerts ou les répétitions ? Et comment les éviter ? Réponse avec le Dr André-François Arcier, médecin co-fondateur de l’association Médecine des arts et de la Clinique du musicien, qui s’est entretenu avec la SMACEM.

Quels sont les risques de la chaleur sur la santé des musiciens et des musiciennes ?

Il existe très peu d’études sur le sujet. Je n’en ai relevé qu’une seule. Elle porte sur les musicien·nes dans les fanfares aux Etats-Unis. Bien que limitée, elle montre que 55% des incidents constatés étaient des syncopes, 44% des épuisements dus à la chaleur et un très petit nombre de coups de chaleur. Dans cette enquête, on note que pour 32% cela se produisait en répétitions, 29% pendant des défilés, 21% dans des compétitions et 15 % en représentations. C’est intéressant parce que ces chiffres nous permettent de comprendre comment mener des actions de prévention.

Les situations sont très diverses, les accidents peuvent arriver autant en extérieur qu’en intérieur. À la Clinique du musicien, lors d’une consultation pluridisciplinaire, un guitariste d’une trentaine d’années est venu pour des crampes survenues lorsqu’il jouait dans un bar. Il avait entendu parler de la dystonie de fonction [trouble moteur entrainant des contractions musculaires involontaires] et il était très inquiet car c’est une maladie redoutable pour les musiciens instrumentistes. 50% des personnes qui en sont affectées ne retrouvent pas le niveau de performance antérieur à leur maladie. Ce guitariste nous a précisé qu’il jouait un répertoire particulièrement engagé dans une ambiance très chaude et qu’il n’avait pas bu dans cette période. Ces crampes, qui avaient désormais disparu, étaient en réalité un signe de déshydratation et d’une hyponatrémie [faible taux de sodium dans le sang] et donc liées à la chaleur et à la perte de sels minéraux (et non à une dystonie). Nous avons donc pu le rassurer rapidement. Pour éviter cela, il y a des mesures de prévention évidentes à prendre.

En outre, si on regarde les différentes maladies liées à la chaleur, on retrouve :

• les crampes de chaleur qui se manifestent par des tensions, des douleurs musculaires et des spasmes,
• les syncopes dues à la perte de liquide ou à une trop faible consommation d’eau,
• la déshydratation et l’hypernatrémie liées à la perte de liquide via la sueur,
• la déshydratation et l’hyponatrémie provoquée par une perte de sodium plus importante que la perte en eau,
• l’épuisement par la chaleur lié à la sueur avec faiblesse, étourdissements, maux de tête, nausées, malaise, peau moite, pouls rapide, hypotension : il s’agit alors d’une urgence médicale,
• le coup de chaleur constitue la forme la plus grave des troubles liés à la chaleur. C’est une urgence médicale extrême. Les symptômes peuvent inclure une température corporelle à 40°. Aux symptômes retrouvés lors de l’épuisement par la chaleur s’ajoutent des symptômes neurologiques qui peuvent comprendre confusion mentale, irritabilité, délires, convulsions ou encore le coma.

Et sur le long terme, est-ce que la chaleur peut impacter la voix ou les articulations ?

C’est étonnant mais il n’y a pas beaucoup d’études sur ces questions alors que c’est un sujet très important ! Il y a sans doute une relation entre le niveau de chaleur, les accidents dus à la chaleur et les troubles musculosquelettiques. Des éléments nous poussent à le croire, mais il manque des études pour le confirmer. Nous sommes homéothermes c’est-à-dire que la température corporelle est constamment régulée pour la maintenir à 37°. Nous produisons de la chaleur lors de la conversion des aliments en énergie et/ou par les muscles lors de l’activité physique. L’organisme se refroidit principalement par la sueur, qui rafraichit la peau en s’évaporant. Les effets de la chaleur dans une période de canicule entraînent fatigabilité et troubles du sommeil avec des conséquences sur la performance.

Concernant la voix, l’appareil vocal est particulièrement sensible à la chaleur. Les cordes vocales ont besoin d’être lubrifiées pour fonctionner de manière optimale. La déshydratation modifie leurs propriétés biomécaniques et augmente leur viscosité tissulaire. De ce fait, l’état d’hydratation a un effet sur la pression nécessaire à leur mise en vibration. La déshydratation est génératrice d’une pression plus forte qui peut endommager les cordes vocales et risquer de ne pas donner les sons attendus.

D’autres facteurs entrent en compte dans la baisse de performance des musicien·nes ?

Certains médicaments peuvent influencer la thermorégulation. C’est le cas par exemple de certains psychotropes, bétabloquants, diurétiques, etc. La plupart des drogues stimulantes (cocaïne, ectasie, etc.) ont la propriété d’augmenter la température corporelle. En outre, le café et surtout l’alcool favorisent la déshydratation.

La bonne nouvelle c’est que nous ne voyons pas beaucoup de situations graves chez les artistes. Les musiciens et musiciennes sont, en général, très focalisés et attentifs à ce sujet. Mais il y a des désagréments fréquents.

Avez-vous des conseils pour les artistes afin de prévenir les effets négatifs de la chaleur ?

Une alimentation adaptée

Dans ces périodes de fortes chaleurs, un des objectifs est de maintenir le corps à 37°. Il est donc nécessaire d’adapter son alimentation afin qu’elle apporte de l’eau et que la production de chaleur liée à la digestion soit limitée. Le choix des aliments et l’heure du repas conditionnent aussi l’adaptation à la chaleur et à la performance.

Des riders bien pensés

Personnellement, j’ai été étonné en analysant les riders de l’absence fréquente de références à la santé. Pourtant, les riders peuvent permettre d’organiser en amont les attentes alimentaires de l’artiste sur la base d’aliments sains et qui prennent en compte les conditions climatiques. Il est recommandé dans ces périodes de prendre plutôt des repas froids, de ne pas hésiter à saler davantage ou de manger des aliments salés, notamment si la pratique est exigeante et que l’artiste transpire beaucoup. Il est intéressant également de privilégier les aliments de saison, melon, pastèque, etc.

Une hydratation suffisante

Il faut aussi bien s’hydrater, boire de l’eau, avant, pendant et après les représentations. L’hydratation est vraiment l’élément clé. On peut prendre un ou deux verres d’eau dès le réveil et ensuite boire toutes les heures ou toutes les heures et demie. Pour savoir si on est bien hydraté, les urines sont un bon indicateur : si elles sont foncées, il faut boire plus.

Une phase d’acclimatation

Pour les personnes qui jouent en extérieur, comme les fanfares ou les groupes traditionnels par exemple, il est conseillé d’avoir une phase d’acclimatation, c’est-à-dire de commencer à s’entraîner à l’extérieur une quinzaine de jours avant la performance. On se rend compte que la perte de sels minéraux est moindre lorsque les personnes sont acclimatées à la chaleur.

Brumisation et ventilation

Après, ce qui peut s’ajouter, c’est la brumisation. C’est simple mais c’est efficace. La ventilation aussi, un ventilateur peut être intéressant. Dans un rider, on peut aussi demander une serviette fraîche par exemple.

Adaptation des traitements médicaux

Les personnes qui ont des comorbidités (pathologies cardiaques, pulmonaires, rénales, etc.) ou un traitement diurétique ont intérêt à consulter leur médecin traitant.

Les risques des artistes sont finalement les mêmes que ceux que rencontre toute personne qui s’expose à la chaleur, avec des risques plus ou moins importants selon l’âge, les problèmes de santé de l’artiste et/ou l’intensité de l’activité. Nous rencontrons heureusement peu de problèmes graves, mais plus des troubles mineurs avec des effets plus ou moins importants sur la performance.

Réagir en cas de signes précurseurs

Les symptômes à surveiller sont les suivants : étourdissement, maux de tête, vomissements, respiration et rythme cardiaque accélérés, soif extrême et/ou urines peu fréquentes et colorées.

En cas d’apparition de ces symptômes, il est nécessaire de faire une pause, de se rendre dans un endroit frais, de boire de l’eau, voire de demander à être assisté par une personne.

La santé mentale est-elle également touchée par les fortes températures ?

Nous n’avons pas observé cela au sein de la clinique. Comme pour les sportifs, la santé mentale est affectée par de nombreux facteurs liés à la carrière comme le fait de travailler en soirée ou le weekend. La programmation de l’activité, parfois de longs mois avant, est aussi une difficulté. La chaleur, lorsque l’épisode climatique se prolonge dans le temps, impacte la santé, le sommeil. La fatigue vient altérer la performance et impacte la santé mentale.

Pour aller plus loin :

• Les vagues de chaleur et leurs effets sur la santé.
• Fortes chaleurs et médicaments : les bons réflexes.