Violences sexistes et sexuelles dans le secteur musical, comment agir ?
Le 25 novembre marque la journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes. L’occasion pour la SMACEM de faire le point sur le caractère systémique des violences sexistes et sexuelles (VSS) et évoquer des solutions pour s’en protéger. En particulier dans le secteur musical où près d’une femme sur trois a déjà été victime de harcèlement sexuel. Pour en parler, nous avons rencontré Anne-Lise Vinciguerra, directrice de l’association La Petite, une association qui œuvre pour l’égalité de genre dans le secteur culturel, notamment musical.
Les violences ne sont pas « une affaire de femmes » mais bien un sujet social, économique et sanitaire. L’impact des VSS sur la santé des femmes en fait un sujet de santé publique primordial. Comme le montre l’enquête CURA x GAM de 2019 sur la santé mentale des pros du secteur de la musique : 50 % des femmes artistes ont subi du harcèlement moral et 39% du harcèlement sexuel. En France, une femme sur deux a déjà subi des violences sexuelles et plus de 240 000 sont victimes de violences par conjoint ou ex-conjoint chaque année. Est-ce que le secteur musical est particulièrement propice aux violences de genre ? Quel est l’impact de ces violences sur la santé des victimes ? Entretien avec Anne-Lise Vinciguerra, directrice de l’association La Petite, qui vise à agir pour l’égalité et « combattre les violences sexistes et sexuelles et les discriminations, plus largement, liées aux origines et aux orientations sexuelles ».
Quel constat faites-vous sur les violences sexistes et sexuelles dans le milieu de la musique ?
Le secteur de musique fait partie intégrante de la société dans son ensemble. Donc, forcément, comme dans l’ensemble de la société les violences sexistes et sexuelles sont très présentes. Le secteur musical n’est pas épargné. Avec les différents #MeToo dans le secteur culturel, on se rend bien compte que la notoriété ne met pas les personnes à l’abri des violences.
Le secteur musical a, tout de même, des spécificités liées aux horaires tardifs, aux ambiances festives, à la banalisation des rapports de séduction, à la consommation d’alcool et de drogues – des facteurs qui favorisent et banalisent l’omniprésence des violences. On observe aussi une très forte sexualisation des femmes dans ce secteur, notamment par le port de tenues moulantes, ce qui est reconnu par la Fondation Jean Jaurès comme un facteur de risques aux violences sexistes et sexuelles, en partie parce que c’est un secteur très masculin.
Enfin, la précarité des métiers de la création, à travers le statut d’intermittence ou plus généralement des conditions de travail, favorise les violences. Je pense notamment à des phénomènes très courants dans ce milieu autour de la réputation ou de la cooptation qui sont très structurants et qui renforcent le silence des victimes.
Quel impact ces violences ont-elles pour les personnes victimes d’après ce que vous observez dans votre activité ?
À travers nos différents dispositifs, on croise des milliers de professionnelles du secteur musical par an et on se rend compte que beaucoup souhaitent arrêter leur carrière ou l’ont déjà fait suite à des violences qu’elles ont vécues au travail et qui n’ont pas été reconnues. Parfois, elles n’ont pas pu signaler ces violences à cause de l’absence de circuit de signalement ou par peur d’être blacklistées.
En lien avec ces violences sexistes et sexuelles, qui sont parfois aussi conjugales, on croise aussi beaucoup de femmes qui évoluaient au sein d’un couple d’artistes ou collectif d’artistes et lorsqu’il y a une séparation, elles se retrouvent sur le carreau avec une perte du capital social mais aussi du projet artistique et culturel.
Les impacts subis par les victimes de violences sexistes et sexuelles sont exactement les mêmes que dans d’autres secteurs. Ce qu’on voit le plus, ce sont des personnes qui s’excluent elles-mêmes de ce secteur, qui partent suite à un burn-out, une dépression grave, une maladie. Quand on détricote un peu les choses en regardant les parcours, on se rend compte qu’il y a beaucoup de problèmes de santé. Et ces problèmes peuvent être liés à des viols ou des agressions sexuelles mais aussi à des micro-agressions sexistes multiples vécues pendant des années.
Quels impacts observez-vous sur la santé des victimes ?
On voit régulièrement tous les symptômes de psycho-trauma, qui ne sont pas toujours reconnus par les personnes elles-mêmes. Certaines victimes ont une prise de conscience pendant nos formations lorsqu’on arrive au passage sur les conséquences psycho-traumatiques des violences.
Les violences peuvent aussi entraîner des troubles de l’humeur, des troubles dermatologiques, des troubles du sommeil mais aussi des états anxieux ou dépressifs parfois signes d’un syndrome post-traumatique. Après, on n’est pas médecins, on ne peut pas faire de diagnostique, mais on observe des prises de conscience et des schémas qui se répètent. Et parfois cette prise de conscience, au-delà du choc, elle est aussi empouvoirante. C’est le premier pas vers la prise en charge mais ensuite il faut trouver des praticiens et praticiennes spécialistes de ces sujets, sinon c’est compliqué…
Impact sur la santé des victimes et coûts associés
De nombreuses études montrent l’impact que les violences ont sur la santé. Comme le révélait déjà en 2014 un article de la Revue d’épidémiologie et santé publique, au-delà des lésions traumatiques physiques, les victimes peuvent développer :
- des troubles psychologiques tels que l’anxiété, la dépression, des troubles du comportement alimentaire, des troubles du sommeil ou encore des syndromes post-traumatiques,
- des troubles gynécologiques ou obstétricaux qui peuvent également impacter les enfants à naître,
- des pathologies chroniques ou aggravation des pathologies due à la difficulté à suivre un traitement.
Si ces impacts et le traumatisme liés aux violences ne sont pas pris en charge, ils peuvent affecter la vie entière des victimes. Ces violences, en plus de bouleverser la vie des victimes, sont également un coût pour la société. Selon un article relayé par Santé publique France, le coût lié aux violences au sein du couple et à leurs conséquences sur les enfants s’élève à 3,6 milliards d’euros.
D’après votre expérience, quels sont les moyens d’agir ?
Du côté des employeurs, de nombreuses choses sont possibles, à commencer par le fait de respecter le droit du travail. Il y a beaucoup de choses obligatoires dans le droit du travail : des affichages, des formations, le fait de nommer une personne référente, de mettre en place un circuit de signalement, etc. Malheureusement, les personnes qui ont un statut d’indépendant, et c’est le cas pour beaucoup de sociétaires de la Sacem, autrices, compositrices, n’ont pas accès à ces circuits de signalement. Il peut y avoir des violences subies auprès des commanditaires et il n’y aura pas forcément de recours. Pour cette raison, j’ai l’impression que ce sont ces personnes qui sont les plus en danger actuellement. En plus, elles ne se permettent pas de dénoncer certaines choses aussi par peur de perdre un client…
Les recours possibles, c’est aussi la sensibilisation, le fait d’expliquer les violences et les impacts qu’elles peuvent avoir. Parce que, même les personnes qui s’informent et s’intéressent à ces sujets dans les médias, ne connaissent pas toujours leurs droits ni l’impact que les violences peuvent avoir.
À SAVOIR !
À partir du 1er janvier 2025, la SMACEM prendra en partie en charge les séances chez les psychologues. Vous aurez également la possibilité d’accéder à une assistance permettant un accompagnement psychologique gratuit et illimité.
Qu’est-ce que vous conseillez aux personnes victimes de violences ou témoins ? Comment les orienter ?
On oriente d’abord vers la cellule [d’écoute psychologique et juridique de lutte contre les violences sexuelles et sexistes pour les professionnel.le.s de la culture, opérée par Audiens, en partenariat avec la Sacem, NDLR], tout simplement. Après, on oriente aussi vers une liste de psychologues qui connaissent le sujet (une liste montée par des psychologues de Toulouse mais qui concerne aussi d’autres villes). S’il n’y a pas de psychologues spécialisé.e.s, j’ai tendance à orienter vers des pros spécialistes en victimologie qui connaissent les symptômes des psycho-traumas. En tout cas, le plus important, c’est de savoir que si on va voir un médecin et qu’on ne sent pas entendu, il ne faut pas hésiter à aller en voir un ou une autre, c’est important de trouver la bonne personne.
Malheureusement, peu de pros de la santé sont formés à ces questions et les violences sont souvent banalisées, minimisées voire pas traitées, notamment pour les personnes qui ont connu des violences intra-familiales avant les violences au travail. Mais le message important qu’on fait passer dans nos formations et dans nos discussions, c’est qu’on en guérit.
La Petite : une association qui lutte contre les violences sexistes et sexuelles dans le secteur musical
La Petite est une association toulousaine unique en son genre. Créée en 2004, elle mène différentes actions de formation, sensibilisation et accompagnement des carrières. Ayant pour objectif de soutenir les carrières et la représentation des personnes sexisées dans les arts et la culture, La Petite dispose aussi d’un média en ligne et du festival Girls Don’t Cry.
La lutte contre les VSS est un des fers de lance de l’association. Elle propose ainsi :
- un accueil dédié à l’orientation et accompagnement des professionnelles victimes de violences,
- des formations, sensibilisations des pros du secteur sur ce sujet,
- des bilans de compétences destinés aux professionnelles des arts et de la culture, où les violences et discriminations vécues sont prises en compte
- le dispositif Main Forte de lutte contre les violences en milieu festif,
- a série Pardon ?! qui promeut l’autodéfense verbale contre le sexisme, le racisme, les LGBTphobies, etc.
Quelques ressources si vous êtes témoin ou victime de violences
- Cellule d’écoute psychologique et juridique de lutte contre les violences sexuelles et sexistes pour les professionnel.le.s de la culture : 01 87 20 30 90, vous serez, en fonction de vos besoins, prise en charge par des juristes ou des psychologues.
- Permanences Allié·e·s portées par HFX+ Aura et HF Occitanie : écoute, accueil de la parole, accompagnement et orientation.
- Liste de psychologues prenant en compte les oppressions systémiques.
- Carte du Centre Hubertine Auclert pour orienter les femmes victimes de violences en Ile-de-France.