Burn-out dans le secteur de la création musicale : le reconnaître et se protéger

burn-out musique

De la fatigue intense à la perte de confiance en soi ou le stress chronique, les symptômes du burn-out sont nombreux et variables. Dans le secteur musical, l’objectif créatif dicte les emplois du temps et peut favoriser l’apparition de cette pathologie trop souvent banalisée. De quoi s’agit-il vraiment et comment l’éviter ? Explication avec Jade Tifiou, psychologue du travail, autrice d’une étude sur le bien-être des compositeurs et compositrices de musique à l’image, qui a répondu aux questions de la SMACEM.

Qu’est-ce qu’un burn-out ?

Le burn-out, c’est un état de fatigue intense, une perte de contrôle. Les symptômes sont très variés mais cela suppose forcément une situation de travail puisque c’est un épuisement professionnel, une incapacité à produire des résultats qu’on estimerait satisfaisants.

Concrètement, la situation de travail va causer un stress qualifié de chronique, c’est-à-dire qu’il dure dans le temps. Cela peut être dû à une charge de travail trop importante ou au faible contrôle sur les tâches qu’on a à faire.

L’étude Can music make you sick ? réalisée par des confrères britanniques montre des chiffres très alarmants dans le secteur de la musique : presque 70% des répondants et répondantes disent avoir déjà souffert de dépression, d’anxiété et/ou de crises d’angoisse, ce qui est beaucoup plus que dans la population générale.

Jade Tifiou, autrice d’une étude sur le bien-être des compositeurs et des compositrices

Psychologue sociale, du travail et des organisations, Jade Tifiou est spécialisée dans l’accompagnement professionnel, la prévention des risques psychosociaux et la santé au travail.

Quels sont les facteurs de risque du burn-out, en particulier dans les métiers de la création ?

De manière générale, les facteurs de risque conduisant au burn-out sont un peu les mêmes que les risques psychosociaux, à savoir : la surcharge de travail, le fait de ne pas pouvoir contrôler les tâches qu’on a à accomplir dans son activité, le manque de soutien social, les conflits, le sentiment de manque d’équité ou d’injustice, une certaine incertitude face à l’avenir, etc.

Dans le cas des professions artistiques, on parle de métiers passion. Donc on a tendance à penser qu’on n’a pas le droit de se plaindre parce qu’on ne travaille pas vraiment quand on a un métier passion. Mais c’est faux… Ce sont des professions confrontées à plus d’isolement, moins de travail d’équipe. On travaille souvent chez soi. On peut aussi avoir l’impression qu’il y a un manque de reconnaissance de son travail.

De plus, les professionnel·les de la musique peuvent être sujet·tes à des troubles musculosquelettiques à cause de la répétions des mêmes gestes tout le temps. Ce sont des choses auxquelles on pense dans les métiers de l’industrie mais pas forcément dans la musique étant donné que ce sont des métiers passions…

Il y a également des moments de vie où le personnel et le professionnel induisent une charge émotionnelle très importante et pour lesquels il faut être vigilant. Cela se produit notamment lors des transitions de vie qui sont des moments stressants comme un changement de relation, de tâches ou encore un déménagement. Les choses toutes bêtes de la vie quotidienne peuvent amener des difficultés. Il faudrait arriver, dans ces moments-là, à dégager un petit peu de temps pour soi.

Témoignage d’une compositrice sur le burn-out

  • L’intensité et les durées de travail très élevées avec le stress des deadlines, notamment lorsqu’il faut avoir plusieurs activités pour pouvoir subvenir à ses besoins, avec un sentiment de culpabilité lors des temps de repos,
  • L’instabilité professionnelle et la précarité du statut,
  • Les relations sociales difficiles dans l’environnement professionnel et la dépendance à la reconnaissance des pairs et du public.

Comme elle l’explique, « cette quête d’absolu, cette tentative de repousser ses propres limites à l’extrême, font partie de l’exaltation ressentie pendant le travail et constituent une sorte de défi lancé à soi-même selon lequel l’œuvre artistique doit être plus grande que son auteur ». Preuve, s’il en faut, que les métiers passions rendent difficile l’établissement de limites. Alors, la rupture arrive lorsque l’énergie dépensée est trop grande et que les bénéfices ne se font pas ressentir.

Comment reconnaître le burn-out ?

Les symptômes peuvent être vraiment sur toutes les dimensions, que ce soit émotionnelles, cognitives, physiques, interpersonnelles ou encore motivationnelles. Par exemple, on peut retrouver une perte de confiance en soi, de l’irritabilité, le fait de rencontrer des difficultés de jugement, de concentration, d’avoir l’impression que le travail qu’on effectue n’a pas vraiment de sens. Il existe plein de symptômes et ils peuvent varier selon les personnes.

Quelles stratégies, collectives et individuelles, peut-on mettre en place pour éviter le burn-out ?

Déjà s’écouter, c’est une grande chose ! C’est quelque chose qu’on a du mal à faire personnellement et professionnellement… Tout le monde s’est déjà retrouvé dans une situation où la charge de travail et la charge émotionnelle sont trop importantes. Ce sont des situations qu’il faudrait éviter même si ce n’est pas facile à faire.

En fait, il faudrait veiller à ce que l’organisation du travail et les contraintes qui sont générées par cette organisation ne surchargent pas les personnes concernées. Si c’est assez facilement réalisable dans des entreprises, ça l’est moins pour des professions artistiques encore une fois.

Ce qui est ressorti de mon étude avec l’U2C, c’est notamment l’impact négatif de l’isolement des compositeurs et des compositrices. Il faudrait favoriser la mise en place de groupes d’échanges de pratiques professionnelles, à défaut de pouvoir changer le cadre de travail. La lutte contre cet isolement est primordiale et favorise un soutien social. Le but n’est pas forcément de travailler à plusieurs mais de pouvoir échanger sur nos difficultés en situation de travail et d’autres solutions sont également évoquées dans l’étude.

Les symptômes du burn-out diffèrent d’une personne à l’autre mais, dans tous les cas, je pense que la meilleure chose à faire est de se faire accompagner.  En tant que professionnelle, c’est normal que je dise cela. Mais, quand on ne va pas bien, on a du mal à identifier ses propres besoins, ses propres ressources, les clés et outils qu’on peut mettre en place. C’est bien de pouvoir avoir quelqu’un pour nous aider à mettre ça en place, même si ce sont des médecines alternatives. Le principal, c’est que ce soient des outils et des clés qui nous correspondent et qui nous fassent du bien.

Idée reçue : le burn-out n’est pas une vraie maladie.

C’est faux ! Jade Tifiou nous explique : « A partir du moment où on parle d’une pathologie avec des symptômes qui peuvent induire des conséquences désastreuses sur la santé physique et mentale, je pense qu’on peut parler d’une maladie. Les personnes qui se retrouvent en situation de burn-out sont aussi souvent amenées à quitter leur emploi, suivent parfois des traitements, sont accompagnées par des professionnel·les de santé. Donc ça ne diffère pas d’une maladie physique. »

De plus, le burn-out est inscrit à la classification internationale des maladies par l’OMS et peut être reconnu comme maladie professionnelle. Malheureusement, les démarches en ce sens en France sont compliquées et beaucoup de personnes se lançant dans ce parcours finissent par abandonner…

Avez-vous des conseils pratiques et concrets pour éviter l’épuisement professionnel ?

Dans un premier temps, je conseillerais plutôt de s’autoriser des légers breaks, de prendre du temps pour soi, notamment pour les personnes qui rencontrent déjà des difficultés émotionnelles. Cela ne veut pas dire qu’il faut arrêter de travailler, mais c’est important de s’accorder du temps.

Si l’on se place sous l’angle « prévention », l’organisation du travail est importante. Il s’agit d’arriver à s’imposer des moments de repos, que ce soient des heures ou des jours, s’autoriser des moments à l’extérieur. En fait plus on s’isole, plus on est seul, plus on adore notre solitude et plus on est dans un inconfort social. C’est assez normal parce que c’est une habitude qu’on perd. Donc on ne sait plus comment communiquer avec les autres. Il faut éviter de se retrouver dans ce type de situation.

Et puis, malheureusement, parfois il faut se mettre un petit coup de pied aux fesses en se disant « Je vais sortir », « Je vais me balader », « Je vais prendre soin de moi, même si je n’en ai pas envie ». Au début, ça sera difficile et ça n’amènera pas réellement de satisfaction. Et puis, au fur et à mesure du temps, on se dira « Ce n’était pas facile aujourd’hui, mais je l’ai fait » et ça apportera une petite satisfaction au quotidien aussi.

Aussi, par exemple, j’invite les personnes que j’accompagne à pratiquer des exercices de cohérence cardiaque, ça prend 15 minutes par jour et c’est prouvé scientifiquement que cela baisse notre sentiment de stress au quotidien. Le but est de veiller à faire en sorte que cette jauge de stress ne déborde pas.

Il faudrait arriver à trouver un équilibre entre nos besoins personnels et professionnels. Et pour ça, s’imposer un cadre un peu plus fixe que ce qu’il peut y avoir dans notre quotidien.

Il s’agit de retrouver la vibration d’une corde qui a été brisée par une torsion excessive, tout en évitant qu’elle se brise de nouveau en ses points fragilisés.

Clara Maïda

Comment se sortir d’un burn-out ?

Dans un premier temps, il est utile de se faire accompagner par des professionnel·les. Il est très important de travailler notamment sur la culpabilité. Car, souvent, on a une certaine culpabilité de ne pas pouvoir être productif, de ne pas aller bien et cette culpabilité ne nous permet pas d’avancer. Donc travailler sur cette culpabilité, c’est un élément crucial.

Après, d’une manière plus pragmatique, il faudrait arriver à aménager son temps de travail. Sur les professions artistiques, on a le problème des horaires décalés. Or, plusieurs études psychologiques l’ont prouvé, cela s’avère néfaste pour la santé. D’ailleurs, s’imposer un rythme et une organisation permet en plus d’entretenir sa vie sociale et les rapports avec ses proches.

Il faut réfléchir aussi aux objectifs qu’on se fixe au quotidien, les moyens à notre disposition pour finalement nous faciliter la tâche au quotidien.

En fin de compte, le plus important est de savoir demander de l’aide à ses proches et à des professionnel·les.

Bon à savoir !

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Enfin, avec notre assistance, vous avez accès à un service d’écoute et de conseil 24h/24 et d’un accompagnement psychosocial gratuit (numéro au dos de votre carte mutuelle).

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